Sur l’île d’Idjwi au milieu du lac Kivu, 2500 paysans mettent fin à plus de 30 ans de désordre dans le café grâce à leur coopérative.
Sans voies d’exportation officielles depuis les années 1980, la petite île d’Idjwi au milieu du Lac Kivu peinait à tirer profit de son café, sa seule source de revenu. Pour continuer à vivre de leur culture en dépit des ravages de la guerre civile, les habitants s’organisent et vendent le café au Rwanda voisin. Une alternative dramatique entre naufrages et acheteurs sans scrupule.
En 2011, ils bouleversent la situation en créant la coopérative CPNCK, une des seules de RD Congo qui exporte. Une nouvelle page s’ouvre pour l’île. Le commerce équitable permet de consolider cette jeune organisation.
L’ÎLE AU MILLE VEUVES
Depuis les années 80, les producteurs de café ont été complétement abandonnés à leur sort par le gouvernement dictatorial du Maréchal Mobutu et les activités d’importation et d’exportation ont été décimées par deux guerres civiles.Avant le début des troubles, au début des années 90, la région du Kivu exportait 120 000 tonnes de café par an, générant 75% des recettes d’exportation de produits agricoles du pays. Depuis la fin officielle de la deuxième guerre en 2003, la filière café et son redressement ont été bloqués par les troubles politiques, la récession chronique et la perte de compétences, après que de nombreux agriculteurs se soient enfuis pour la ville lorsque leurs champs sont devenus le théâtre de combats entre les milices rwandaises et les forces armées gouvernement pendant le conflit civil voisin. Les exportations en 2016 représentaient moins de 10% des niveaux d’avant-guerre.
Le café reste la source principale de revenus financiers de l’Ile. Toutes les voies pour l’exportation officielle de café ayant disparu, les habitants de l’Ile s’organisaient pour amener clandestinement leur café au Rwanda voisin, dans des canots à rames.
Ils tombaient alors entre les mains d’acheteurs sans scrupules. D’autres voleurs les guettaient pour les poursuivre sur le lac lors de leur retour, pour les assassiner en vue de voler leur argent. D’autres encore ont fait naufrage dans des tempêtes, qui peuvent être très violentes sur le Lac Kivu. C’est ce qui explique que sur l’Ile, la communauté compte beaucoup de veuves. Elles sont plus de mille.Lîle d’Idjwi reste un endroit déchiré par la guerre. Selon une étude menée par la faculté de médecine de Harvard en 2015, seulement 5,7% des habitants de l’île ont plus de 40 ans. Idjwi, du fait de son isolement, a la réputation d’être un refuge sûr pour les réfugiés des régions environnantes.
LA COMMUNAUTÉ S’ORGANISE
A la fin des années 90, les habitants tentent de réduire tous ces risques en créant un Comité des Acheteurs de Café d’Idjwi. Il s’agit d’un petit groupe qui réalisent la traversée vers le Rwanda dans des bateaux motorisés, avec le café de tous les membres du comité. Ils fonctionnent ainsi jusqu’en 2011 lorsqu’ils créent la Coopérative des Planteurs et Négociants du Café au Kivu (CPNCK).
Avec l’appui de VECO, une ONG belge d’appui aux organisations paysannes, et d’un projet financé par le PNUD, la coopérative collecte les frais d’adhésion des membres pour co-investir dans la construction des micro-stations de lavage pour le traitement les cerises de café. Ils accédent au préfinancement, le taux d’intérêt des banques locales étant trop élevé (entre 18 et 24%). La coopérative a aussi reçu du projet une machine décortiqueuse. Auparavant les cultivateurs vendaient un café semi-transformé, à moindre coût. Le nouvel équipement est un sérieux atout : il permet de transformer la récolte en café vert directement prêt pour l’exportation, ce qui triple le prix de vente.
Saouda, 23 ans, cultive le café avec son mari. Le jeune couple possède 250 caféiers et produit également du manioc et des légumes pour leur propre consommation. Saouda est membre de la coopérative. Elle témoigne « Avant d’être affilié au CPNCK, mon mari allait vendre notre café en pirogue au Rwanda. C’était dangereux et notre production était mal rémunérée. En collaborant avec la coopérative , nous bénéficions de prix connus et stables. Nous les femmes nous amenons notre café à la micro-station, et nous sommes directement payées au prix du kilo de café cerise. Cela m’aide à assumer les dépenses quotidiennes du ménage et d’épargner pour envoyer nos trois enfants à l’école. »
L’unité de transformation du café fonctionne grâce à la micro-centrale hydroélectrique de Kamiro, inaugurée en 2017 par l’Ambassadeur du Japon, le Gouverneur du Sud Kivu et le Directeur Pays Adjoint au Programme du PNUD. Cette infrastructure produit une énergie renouvelable, denrée rare sur un territoire sans source de production électrique.